Revue 9-10 – Les filles du Feu

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Ce numéro qui recueille en ses pages nos plus tenaces blessures était dédié aux Afghanes.

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ISBN : 29144670600 Catégorie :

Description

Ce numéro qui recueille en ses pages nos plus tenaces blessures était dédié aux Afghanes. « Les cicatrices font partie de notre présent tout autant que de notre passé. Elles créent le lien entre ces deux fragments de temps. » Mais, au-delà de leurs cicatrices, les Filles du Feu dévoilent leur optimisme vital : la quête de la découverte de soi et du lien avec autrui.

Les Afghanes, Figure de l’humanité

Behja Traversac

 

 » Le monde n’est plus qu’un rectangle de quatre ou cinq mètres carrés. Toute sa lumière se réduit à une fente dans la porte. La nuit et le jour ont la même couleur, la clarté de la lampe-tempête. « 

Spojmaï Zariab

Nouvelle  » La carte d’identité  » de  » Ces murs qui nous écoutent  » Ed. l’Inventaire – Paris 2000.

Lorsque nous avons décidé de dédier le précédent numéro des Etoiles aux Palestiniennes, au début de l’année 2001, nous nous étions promis que celui-ci serait dédié aux Afghanes. Ceci pour souligner que cette dédicace ne s’aligne nullement sur l’actualité politique et médiatique et n’a rien à voir avec un acte opportuniste. Le silence assourdissant qui a entouré le sort des femmes d’Afghanistan nous préoccupait depuis des années comme nous préoccupaient les drames que nous savions se nouer dans leur pays. Ce geste que nous faisons envers les Afghanes répond à la solidarité, que nous exprimons depuis le début de cette édition, à toutes les femmes du monde et particulièrement à celles qui sont dans des difficultés majeures.

Sujétion, asservissement, ségrégation, relégation, claustration, oppression, subordination, humiliation, sévices, exclusion, mépris, assignation, persécution … quel mot, quels mots peuvent traduire l ‘inconcevable tribunal qui a habité la vie des Afghanes durant les six longues années de la période des tâlebân ? Aussi chargés de sens que peuvent être les mots, ils sont sans puissance, sans échos, sans mémoire, presque sans signifiance face à ce qui a ébranlé intimement, fondamentalement, le corps, l’esprit, la dignité des Afghanes. Le tremblement de terre a eu lieu dans leur propre corps physique, dans leur propre psychisme. A peine ces mots sont-ils des signes incertains pour entr’ouvrir les portes de notre révolte, pour ne passe taire.

Comment taire, comment avoir tu si longtemps ce « malheur ontologique « , comme dirait Franz Fanon, qui a pris en otages expiatoires les Afghanes en tant que femmes, en tant que partie de l’humanité, en tant que figuration de l’humanité toute entière ? Car, pouvons-nous occulter que, par sa démesure, l’enténébrement dans lequel ont été plongées lesAfghanes, recèle dans sa genèse, dans son fondement, dans sa matérialité comme dans sa symbolique, la représentation emblématique du reniement d’une part de soi, du rejet mortifère de la différence de l’Autre, de la négation de toute rencontre possible  » du Je et d’Autrui « .

La souffrance par l’assassinat quotidien à laquelle les Afghanes ont été soumises, les cicatrices irrémissibles qu’elles portent sur leur corps et dans leur mémoire, et dont la nôtre ne peut être exempte, ne ressortissent pas seulement de l’inégalité entre les sexes, elles sont une interrogation cardinale sur la perte de sens des sociétés humaines d’aujourd’hui. Elles mettent à nu l’existence d’espaces vides de repères où peut se faire place une espèce d’aphorisme fermé sur lui-même, atemporel, s’auto-reproduisant dans une sarabande folle et faisant de l’apartheid sexuel son point d’ancrage. Les femmes d’Afghanistan n’ont pas seulement fait l’objet de la tyrannie que l’on sait, elles figurent le meurtre symbolique de l’être et de l’intelligence.

Mais ne nous trompons pas. Leur cri impérissable, qui projette ses échos dans l’Histoire des femmes, dans les temps de l’Histoire humaine, hors de toute frontière, s’adresse aussi à notre surdité, à notre cécité, à notre indifférence, à notre implicite assentiment, à notre commune trahison nous, hommes et femmes de la planète Terre. Nous sommes tombés dans le traquenard de l’oubli de l’Autre, de  » l’oubli de l’être « . Nous avons délimité nos territoires, ceux de l’égocentrisme, ceux de l’économie de marché, ceux de la real-politic. Nous sommes dans la posture paradoxale où le surcroît d’informations nous dés-informe, où à notre libre arbitre se substitue la « vérité  » construite ailleurs, en dehors de nous.

Ainsi, le tragique statut d’humiliées desAfghanes, que le monde a toléré, que le monde a pu tolérer, révèle aussi la  fabrication d’un imaginaire collectif où l’identification du Réel se fait selon les normes et les codes décidés par les idéocrates du moment. Ses artisans -les puissants de ce monde et leurs relais médiatiques – nous en indiquent le langage, l’image et les règles. Cette matrice imaginaire est sensée être rédemptrice : en signe d’absolution de notre acceptation de l’indignité, ils nous offrent l’irrécusable justification de la manipulation de nos cerveaux :l’ennemi indépassable, le fanatique, l’intégriste, l’insensé, navigant en de folles et sanguinaires aventures contre les siens propres. Certes. Mais le tableau n’est pas complet. Nos concepteurs d’imaginaire oublient de nous informer sur les ressorts de toutes les complicités qui ont permis que cela advienne. Mais cela serait contre-productif que de nous le dire. Alors on nous invite au silence et au respect des tabous. Nous voilà devenus des « info-phages  » prêts à accepter et pis, à comprendre, la guerre s’ajoutant à la misère.

Désormais, l’affreux, le monstre, le démon, nous lui donnons un visage, une allure, nous le dotons d’une identité religieuse et civile, nous le nommons, nous le qualifions, nous lui attribuons une âme même -certes fermée à la modernité et déniée aux femmes et aux Indiens d’Amérique pendant tant de siècles – mais qu’importe. Enfin, pour nos consciences faussement rassurées par le solennel  » plus jamais ça  » de 1945, le Mal est repéré, repérable. De nouveaux Hitler, surgis de la boîte de Pandore, s’interposent cruellement entre nous et le droit, entre notre innocence d’hommes et de femmes libres et les justes pulsions guerrières, et provoquent notre bien légitime répulsion. Nous avons notre personnage bien campé, notre ennemi, car désormais, il n’est pas seulement l’ennemi des Afghanes, il est aussi le nôtre, celui que nous revendiquons de toutes nos forces car il nous aide à construire une cohérence, imaginaire ou réelle, à désigner le fautif, à trouver la faille qui nous échappait. Il fallait enfin qu’il sorte de l’inconnaissable, qu’il sorte de l’obscurité des montagnes afghanes vers la lumière des caméras, qu’on le situe sans équivoque comme ennemi de notre intégrité commune, comme notre ennemi intime. Dès lors, notre culpabilité se dissout dans la cause enfin débusquée, notre responsabilité de citoyens honnêtes est enfin dégagée. La menace est circonscrite. Les bombardements américains nous sauverons du chaos, ils paient la rançon de notre tranquillité la rançon de  » la dette du sens « . Ouf, on souffle !

Nous, les autres  » Autre « , nous l’envers des autres, nous qui scrutons aujourd’hui les résilles du tchadri et les plis de la burqa, nous qui découvrons ou faisons mine de découvrir les crimes des tâlebân, nous qui portons un regard pseudo intéressé sur l’islam, nous les héritiers rationalistes de Descartes et du pragmatisme américain, nous avons oublié,  malgré tous nos savoirs – ou peut-être à cause d’eux ? – nous avons oublié pendant si longtemps, les Afghanes devant leurs bourreaux et, devant eux, nous oublions encore le sort réservé à tant d’autres femmes à tant d’autres peuples du monde. Vous savez, celui qu’on nomme tiers. Mais qui peut s’intéresser au tiers innombrable et pouilleux ?

 

Détails du livre

Poids0,3 kg
Dimensions2 cm
Auteur(e)

Collectif d'auteurs

Editeur

Éditions Chèvre-feuille étoilée

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