Préface
La Désirance
Le rêve est la voie royale vers l’inconscient. Sigmund Freud La désirance ! ce mot de Freud en dit beaucoup sur nos rêves. Ils ne seraient que l’accomplissement de souhaits, de désirs refoulés. Ce serait la poursuite dans le sommeil de la vie consciente. Mais nous n’avons pas placé le thème de ce numéro sous l’aura des interprétations complexes de Freud sur le rêve. Notre appel à textes, nous l’avons placé sous les fastueux blasons d’Amadeus et d’Arthur. Des rêves par le détour de l’impérissable beauté. Des rêves par le flamboiement de la poésie et de la musique de ces deux voleurs de feu qui inventèrent de nouveaux langages de l’art qui se fondent aujourd’hui dans la conscience universelle. Une aventure épique pour nous guider, un défi passionné proposé aux auteures de cette revue comme une écume d’or qui couvrirait les rêves à écrire. Poursuivant le jeu sacré de la littérature, elles y ont fabuleusement répondu, libérant leurs imaginaires et leurs intelligences, comme seule le permet la démarche artistique. Numéro après numéro, sur ces mêmes pages, sous la même passion d’écrire, sous le même chapiteau du féminin, elles défient les thèmes et les années, ignorant ainsi la surdité d’un monde tourné vers ce qui bruit, qui résonne, qui tonne, dans les médias. Elles ont choisi ce lieu de tous les risques mais aussi de la reconnaissance de tous les talents. Nous avions rêvé d’Étoiles et d’encre il y a plus de dix-huit ans, elles prolongent l’âme de notre rêve signant un pacte implicite, souverain, qui s’écrit toujours et encore à partir du présent et… des nouvelles venues. Un pacte pur et simple. Absolu. Qui nous porte. Et des rêves, il s’en est écrit ici ! Sous toutes les formes, dans tous les genres. Fictions, science-fiction, poésie bien sûr, Histoire, politique même, dessins et photos ; des rêves tissés dans les abysses de l’inconscient peut-être, mais aussi à la lisière de la mémoire et de la conscience créatrice. Des rêves irradiés par le souvenir de la joie ou de la souffrance, de la peur ou de la révolte, de l’exode, de la solitude, de l’amour. Un caléidoscope de thèmes, de styles, de sensibilités, d’émotions, de personnalités. Un élan où l’on retrouve l’originelle présence de chacune franchissant le seuil du rêve pour atteindre au langage littéraire. Le rêve est un voyage où rien ne ment nous dit Hélène Pradas. Oui, nos envies, nos tentations, nos faims, nos angoisses, nos non-dits s’invitent inopinément dans notre sommeil, indifférents aux fêlures de notre être, filon vivant et pourtant insaisissable ne connaissant ni mensonges, ni méfiance ni indulgence. Un mouvement intarissable, une forteresse de vacarmes et de silences dont nous sortons meurtris ou consolés ou simplement oublieux du torrent qui emporte nos nuits. Je lis les rêves offerts à ce numéro. Je tourne les pages et voici qu’un personnage, en queue-de-pie, ayant servi chez Maxim’s ou à La Tour d’Argent s’insinue subrepticement dans le rêve de Chantal Vidil. Et avec lui un inoubliable passé dont il sauve l’indélébile empreinte dans un petit restaurant désolé de Boussaâda la ville de Dinet et d’Eberhardt. Magnifique, déchirant. Je tourne encore les pages et, déboule, espiègle et malicieux, dans la nuit de Carole Lilin, un paquet postal qui prétend rien moins que sauver la planète et signifier à la dormeuse que son avenir ne lui appartient ja…mais. Tellement rêve et tellement imaginatif ! Puis m’arrive l’écho du monde, bruissant du rêve révolté de Nic Sirkis, rêve politique s’il en est, qui fustige notamment le (hélas !) président des États Unis : je sens un cri de colère déchirer mon ventre, un cri à se boucher les oreilles pour repousser ce vent de haine… Une écriture ouragan. Plus loin, souffle sur ma mémoire le vent poivré d’une fragrance méditerranéenne, le rêve légendaire de la célèbre Berbère Fadhma N’soumer dont Lila Lakhel nous conte, à sa manière, l’épopée. Superbe. Au fil des pages, je sens un parfum de terre mouillée et de fleurs sauvages car Danièle Maffray a toujours sous le boisseau des rêves d’enfance enchanteurs qui nous emplissent d’une douce nostalgie. Quelle fraîcheur. Et puis, Sabine Péglion quitte un instant – ou plutôt s’arrime à – l’œuvre picturale pour chaparder au ciel et à la mer leurs secrets territoires. Musical comme un poème. Par un magnifique et terrible texte, Rosa Cortès nous arrache à nos passés, aux faux rêves d’ogres, de sorcières et de princesses, et nous mène vers le havre prometteur de la musique : Une esquisse se profile et nous rêvons, comme Michel Houellebecq, à la possibilité d’une île. Et puis, et puis comment ne pas citer le chant des partisans que le rêve de Michèle Perret lui enjoint d’affirmer comme le plus beau chant de résistance qui soit au monde. Le texte de Wassyla Tamzali y fait écho et lui donne toute sa substance. Un nom, un seul résonne de toute la force du partisan qu’il fut, celle d’un enfant de la lutte anticoloniale, un visionnaire, le frère d’esprit de Jean Sénac. Tous deux amants de la lumière. Cet enfant s’appelait Maurice Audin. Et… mais non, j’arrête, j’aurais trop de pages pour un simple édito et ce n’est pas faute d’avoir été gourmande des mots rêvés de toutes les auteures présentes en ce numéro. Qu’elles soient sûres que je les ai lues aussi attentivement que celles que je cite ici. C’est donc dans le sillage ardent de la vie au rêve et du rêve à la vie, que nous lirons tous les textes qui respirent au bord de nos nuits et dans l’embrasure des portes de la littérature. Je finirai – malgré tout – par cette réflexion de Sigmund Freud qui concerne toutes celles et tous ceux qui ont choisi d’écrire : Les écrivains sont de précieux alliés et il faut attacher un grand prix à leur témoignage car ils savent toujours une foule de choses entre ciel et terre, dont notre sagesse d’école ne peut encore rêver.
Behja Traversac
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