Revue 29-30 – L'arbre aux histoires

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revue 29-30
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Carte blanche à Behja Traversac

ISBN : 9782914467438 Catégorie :

Description

Carte blanche à Behja Traversac 
Dans ce numéro intitulé “L’arbre aux histoires”, il n’est pas seulement question d’arbres. Qu’on se le dise ! Comment s’étonner que certaines aient recueilli pour nous les instants les plus vivants, les plus colorés de leur(s) histoire(s), alors que d’autres nous entraînent loin, très loin dans des galaxies étranges, ou bien nous fassent arpenter des lieux qu’elles revisitent pour nous, avec nous ?
Illustratrice: Marthe Kalifa

Histoire d’arbres
Dans ce numéro intitulé « L’arbre à histoires », il n’est pas seulement question d’arbres. Qu’on se le dise ! Mais cela, nos auteures l’ont bien compris. Et comment s’étonner que bon nombre d’entre elles soient allées chercher du côté de l’enfance ? Que certaines aient recueilli pour nous les instants les plus vivants, les plus colorés de leur(s) histoire(s), alors que d’autres nous entraînent loin, très loin dans des galaxies étranges, ou bien nous fassent arpenter des lieux qu’elles revisitent pour nous, avec nous ? Que Marthe Khalifa, la peintre que nous avons choisie pour illustrer ce numéro, nous livre une vision si personnelle de ses pérégrinations artistiques qui toutes témoignent d’une inlassable quête ? La peinture de couverture semble nous dire :
Ouvrez les cadenas, derrière les portes grillagées, tout est là.
Au gré de ces histoires qui nous ont été confiées, nous pouvons prendre la mesure de ce qui constitue l’essence même de l’écriture. L’essence même de notre singulière aventure. Parce que c’est cela l’écriture, à la fois quête, échappée libre, mais aussi lieu de confluence de tous les voyages, de toutes les errances. Parce que c’est cela « Etoiles d’encre » : une ‘arborescence de voix’ selon la formule de Behja Traversac qui nous livre ici une Carte blanche très intime, très personnelle qu’elle dédie à toutes celles qui nous accompagnent depuis maintenant près de sept ans. Voix familières, dont nous reconnaissons très vite la tonalité et la saveur ou voix nouvelles qui s’entrelacent, se rejoignent dans une proximité qui nous est plus que jamais nécessaire dans le monde qui est le nôtre aujourd’hui. Toutes ces contributions sont pour nous un peu comme « les cernes d’un arbre », vous savez, ces cercles concentriques qui s’ajoutent les uns aux autres et accroissent, par couches successives, la circonférence des troncs.
Puisque je me suis hasardée – ou fourvoyée ? – dans cette forêt de symboles, comment résister à l’envie d’être un peu pédante ? De rappeler que le mot ‘livre’ vient du latin ‘liber’ qui veut dire ‘‘libre et affranchi de toute servitude », mais aussi, ‘‘partie de l’écorce de l’arbre servant à l’écriture ». De même que le verbe lire vient de ‘legere’, qui veut dire aussi recueillir, ramasser, moissonner…
Et parce que j’ai évoqué notre monde et que l’écriture est aussi trace, palimpseste de la mémoire, je vais vous livrer mon histoire d’arbre.
« Un arbre devrait redevenir un arbre et sa branche à laquelle au cours de cent guerres on avait pendu les révoltés, une branche en fleurs quand viendrait le printemps. » C’est cette phrase de Paul Celan, extraite de son livre « Le méridien » qui m’a replongée dans le souvenir des traversées de l’horreur et de l’innommable dans notre pays au cours de cette dernière décennie.
Figurez-vous une route, comme il en existe tant, un peu partout dans le monde. Une route bordée d’arbres. Une route où, par endroits, les feuillages, comme irrésistiblement attirés les uns vers les autres, se courbent, se rejoignent, s’entremêlent et forment, au-dessus du ruban d’asphalte, un arceau criblé de soleil. Un peu comme dans l’un des poèmes de Sylvie Brun qui parsèment ce numéro : « … des branches/qui pour embrasser/la courbe de votre ombre/espérée/suspendent à leurs doigts/ les cadeaux d’un velours ». Et puis un jour, sur cette même route, à cet endroit que l’on attend parce qu’il nous donne la sensation d’être accueilli, protégé… la stupeur ! De part et d’autre, ce ne sont plus que troncs coupés. Question de sécurité, à cause des embuscades tendues par les terroristes, nous explique au barrage le jeune, très jeune militaire qui contrôle les véhicules, un doigt nerveux sur la gâchette de son fusil. Et soudain, le désespoir a un visage : celui des arbres brûlés sur les collines, des forêts calcinées et des branches tordues, torturées, tendues vers un ciel qui reste sourd à toutes les prières.
Mais il y a les saisons. Il y a la sève et l’aubier. Et surtout le temps qui passe.
Et, de voyage en voyage, peu à peu, au cœur de cette nature dévastée, on voit apparaître sur ces troncs mutilés, des bourgeons. On les surveille, on les espère suffisamment forts pour survivre. Ce sont, d’abord timides, les premières pousses. Puis des feuilles apparaissent. Frêles, délicates, d’un vert si tendre qu’on ne se lasse pas d’espérer. Puis, de plus en plus visibles, de plus en plus solides, des branches qui de nouveau se tendent vers le ciel.
Voilà. C’était juste une histoire d’arbres… mon histoire à moi. Une histoire de régénération, de réviviscence. Une histoire de résistance.

Maïssa Bey

Jour de cueillette à Djélida – Samira Negrouche

« Vous serez une part de la saveur du fruit »

René Char, Feuillets d’Hypnos

Pour Dalila Hadjadji

Des silhouettes d’hommes dans le brouillard épais et traînant du matin, ils sont une vingtaine et avancent entre les orangers coiffés de casiers, ils vont en file indienne dans une ambiance bon enfant à mesure que quelques rayons de soleil transpercent le feuillage. C’est jour de cueillette et chacun est à l’ouvrage, les uns aux ciseaux, les autres au tri et à l’emballage.

  Noirs de soleil ou du travail de la terre, ils semblent tous se ressembler, ils sont luisants et beaux, leurs muscles se dessinent bientôt sous des habits fins et poudreux qui ne craignent aucun froid, ils avancent dans la terre comme si eux-mêmes étaient des arbres voyageurs. Voici ces petits êtres conjugués à d’autres êtres dans ce lien charnel entre terre et ciel.

  Les fruits à peine frôlés par le ciseau entament leur voyage en pesanteur pour atterrir dans le tapis orange d’autres fruits que des mains parfois rugueuses attrapent en plein vol, les plus belles iront au marché dans de petites cassettes, les autres grossiront les filets rouges des fruits à presser.

  Ces hommes sont souriants mais impénétrables ; lorsque sonne l’heure du déjeuner, ils s’emparent fiévreusement chacun de sa baguette de pain à peine imbibée de fromage fondu, les oranges faisant à elles seules un joli festin dans cette région aride et dure de survivance, un désert aux portes de la mer. Ils sont dans l’oasis et totalement maladroits de leurs corps dès qu’on s’approche d’eux pour un peu d’humanité, ils ne semblent pas aimer ou pratiquer la parole au-delà des formules usuelles et préfèrent s’affairer entre eux ou même parler entre eux de choses et d’autres.

  Derrière les cyprès, d’autres ouvriers sont parsemés dans le terrain avoisinant, il bêchent minutieusement pour extirper les pommes de terre du ventre humide et froid, ils avancent en des rangs parallèles depuis leurs jambes jusqu’au vol circulaire de la bêche, leurs mouvements sont précis et rapides ; il faut vite remplir le camion, chacun est payé au poids. Des enfants les suivent à la trace et picorent les petites tubercules restant. Quelques fillettes y reviennent à peine âgées de sept ou huit ans, un sac de tissu sur le dos rempli du butin de la journée, elles peuvent bien courir les cueillettes, bientôt elles ne feront que passer comme des ombres mal à l’aise et peureuses devant l’interdit des hommes.

  Ceux-là, sous les arbres, mordant goulûment dans leur pain deviennent rapidement inoffensifs, loin des cafés de village et de l’ouvrage du jour, à mesure que le temps passe, ils ne se ressemblent plus de même qu’aucun arbre ne ressemble à un autre arbre, ils n’ont pas les mêmes rides d’expression, et ne sont pas tous dans la même misère, ils sont leur propre douleur ; les mâchoires soudain occupées, les corps posés, reposés, les regards s’évadent loin, très loin, bien plus loin que la vingtaine dont le plupart sont encore loin.

  Voilà près de vingt ans que je passe au milieu d’eux ou de leurs pères, je les ai presque vus naître dans cette terre qui veut ressembler à du sable et m’enseigne une autre échelle du temps, celui de destins qui se superposent. Je suis moi aussi une ombre au milieu de leurs questionnements pour être femme et je déambule encore devant les enfants et ceux de leurs enfants qui finissent par penser que je suis un élément du décor et qui ne tressaillent plus à mon passage. J’aime être un olivier robuste et centenaire, me faufiler entre leurs maladresses et le fruit, ce miracle du haut Chélif.

  Petite, je traversais une forêt d’orangers sur la route d’Orléansville à Alger ; seuls quelques foyers demeurent, ce sont les rescapés de la sécheresse de l’oued dont on disait qu’il était aussi majestueux que le Nil. Aujourd’hui ne demeurent que quelques vestiges de canalisations vides et gargouillantes pour instruments à trompe. La vie semble abandonner le pré jusqu’aux maquis devenus hirsutes et secs laissant régulièrement la région s’embraser.

  Djamel est de mes ouvriers le plus consciencieux, ses mains ajustent délicatement les fruits en trois rangées symétriques ; le voilà accroché au camion pour charger les derniers casiers. Il a la taille d’un palmier élancé et gracieux comme un chat de la vieille Egypte, il me parle parfois pour me dire qu’il ne sert à rien d’angoisser, la terre fait de nous ce qu’elle veut. Quand il y a du travail il est le premier à venir tout sourire ; autrement, il se pose sous un cactus et rêvasse aux montagnes environnantes. Il clôture le bal et son corps est un chant de pluie. La saison est finie, ces quelques goûtes d’eau rafraîchissent la fatigue de l’année écoulée. Ils repartent avec la promesse du ciel et laissent dévoiler entre leurs corps qui s’avancent le Zaccar1, ce père qui ne cesse de veiller sur moi et sur cette oasis miraculeuse de saveur.

Détails du livre

Poids0,3 kg
Dimensions2 cm
Auteur(e)

Collectif d'auteurs

Editeur

Éditions Chèvre-feuille étoilée

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