Au moment de son irruption dans la littérature algérienne de voix féminine, le père apparaît comme le géniteur, celui qui donne la vie, puis celui qui guide, oriente, et qui est, en définitive, cette autorité protectrice et conservatrice en même temps.
À travers leurs écrits, les femmes écrivains algériennes semblent en perpétuelle quête de ce père qui leur a inspiré de très beaux textes.
Cette recherche du père se traduit par un dialogue établi à travers lécriture comme si ces femmes, chacune à sa façon, déchirées par labsence, par la multiplicité culturelle, par lincompréhension et par labsence narrivent pas à repartir dans leur vie, sans faire cette étape décisive, cette exorcisme du père qui apparaît dans bien de cas nécessaire. Ainsi, évoquer, parler, écrire, exorciser ce père symbole inaccessible, devient une étape à franchir pour ces femmes qui, au nom du père, sadonnent à une mise à nue difficile.
Assia Djebbar raconte dans Lamour la Fantasia, en voix off, ses souvenirs denfance, plus précisément, le rôle qua tenu son père dans sa vie, et cette chance quil lui a donnée en lui permettant linstruction, en mettant entre ses mains le savoir, ne la privant pas comme tant de filles surtout dans lAlgérie des coutumes et des traditions obscures. Fillette arabe allant pour la première fois à lécole, un matin dautomne, main dans la main du père. Celui-ci un fez sur la tête, la silhouette haute et droite dans son costume européen, porte un cartable, il est instituteur à lécole française.
Et cest ce lien fort, confus, qui permet à Assia Djebbar dapprofondir son écriture en puisant dans sa mémoire. De ses souvenirs denfance, dadolescente émancipée qui a appris à lire, à écrire grâce au père instituteur, naissent des textes dune admirable construction, mettant nez à nez, un passé riche et un présent fécond. Cest encore un autre père instituteur qui est à lavant-garde dans Je ne parle pas la langue de mon père, paru récemment aux éditions Julliard, Leila Sebbar, entame un récit, une écriture, un dialogue entre elle et ce père, un autre instituteur aussi qui ne répond pas aux appels de sa fille et à ses interrogations.
Nest-ce pas pour fuir ce mutisme du père quelle interroge, se réfugie dans ses souvenirs denfance et prend conscience quelle aussi est confrontée à un autre mutisme, le sien, car elle ne connaît pas la langue de son père et cest à partir de cette privation que lauteur tissera son récit.
Mais, faute de réponses concrètes, faute dexplications plausibles, Leïla Sebbar usera de son imagination pour compléter lhistoire dun homme quelle aime et respecte depuis toujours. Elle lui invente donc une vie parallèle même si elle tente de se reconstituer une mémoire fragmentée en rassemblant soigneusement des bribes dinformation en faisant appel à ses souvenirs denfance à Hennaya et aux anecdotes racontées par les uns et les reconstituer.
Ce besoin du père se ressent dans lécriture de Sebbar qui reste tiraillée entre deux cultures, entre deux civilisations du fait quelle soit dune mère française.
Dans son livre autobiographique Entendez-vous dans les montagnes, paru aux éditions Barzakh, Maïssa Bey écrit son livre, comme un cri de révolte, un cri qui se transforme en hommage à ce père, haute figure, cet instituteur torturé et exécuté durant la guerre dAlgérie, un juste modèle pour linstitutrice quelle va devenir. Maïssa Bey a si peu connu ce père. Elle tente de reconstituer sa mémoire, en puisant dans ses souvenirs, le très peu de souvenirs quelle a de lui, parti trop tôt.
Aujourdhui encore, ce père lui manque terriblement doù lécriture de ce livre-témoignage qui la réconcilie avec un passé douloureux et qui reste pourtant une amertume doù cette dédicace à celui qui ne pourra jamais lire ces lignes.
Dautres femmes nont pas résisté décrire au nom du père, géniteur, inspirateur, protecteur, parfois aussi obscur, ne comprenant toujours pas les relations souvent ambiguës quelles entretenaient avec leurs pères.
Parfois, cest un père absent, mort trop tôt, parti trop tôt ou bien détaché. Nina Hayet raconte dans Lindigène aux semelles de vent, la très belle histoire de son père, Mohamed Belhalfaoui : Mon père fut cette lumière qui continue déclairer ma lanterne dAlgérienne non musulmane, née française en terre colonisée, en exil partout à tout jamais et en quête éperdue de ses racines… Par amour à ce père, personnage hors du commun, que Nina Hayet a entrepris ce récit écrit dans les larmes et la souffrance, dont la nécessité décrire ce livre sest imposée à elle pour entretenir sa mémoire.
Dans Paris, plus loin que la France, Ghania Hammadou entame son récit sur un fond doccupation en développant le personnage de Azzedine, le père qui part au maquis en abandonnant, mère, épouse et enfants. Mériem, qui prend parfois les traits de lauteur, sacharne à faire revivre limage de ce père absent en tentant de revivre les seuls instants qui hantent encore son esprit, ses quelques souvenirs.
Cette recherche où quête du père ne cesse de simposer, de se renouveler dans la littérature féminine algérienne. Léducation sévère, conservatrice a fait que les relations père-fille restent limitées, pas trop affichées, ni aussi spontanées, guidées par le souci des convenances et de la bonne conduite. Cest cette soif, parfois, manque daffection aussi, que lécriture vient à combler doù ces textes poignants, dune grande douleur et beauté aussi.
N. B.
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