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Une approche inédite du tout premier convoi qui a conduit les colons en Algérie
©Maia Alonso
Alors que les origines de l’Histoire coloniale sont peu enseignées de part et d’autre de la Méditerranée, ce roman, basé sur des faits réels, vient combler cette lacune Le roman s’appuie sur une documentation et des sources à l’authenticité avérée telles que des récits de l’époque, des documents officiels… De plus, une bibliographie détaillée permet aux lecteurs d’approfondir leur connaissance sur le sujet.
Michèle souligne : Si j’invente la vie de ces personnages de fiction, des révolutionnaires devenus colons par espoir d’un meilleur avenir, ma base de travail est toujours ancrée dans la réalité historique. Ces hommes et ces femmes ont vraiment fui la misère et bien souvent la répression. Ils ont été transformés à jamais par ce voyage éprouvant : d’abord en découvrant la France profonde, puis en abordant sur une terre d’accueil inhospitalière. Ils n’ont pas eu d’autre choix que de s’acharner à survivre en accord avec eux-mêmes.
Et elle ajoute :
Sans être historienne à proprement parler, j’ai reçu une solide formation historique. D’abord en Licence, puis en suivant les séminaires des grands historiens du Moyen-âge. Ma spécialisation en histoire de la langue française a aussi impliqué une approche historique.
« Le Premier convoi, 1848 » retrace l’épopée de ce premier convoi qui partit en octobre 1848 de Paris, empruntant les canaux et les fleuves de France puis la Méditerranée, avec à son bord 870 personnes ainsi décomptées : 345 hommes, 214 femmes et des enfants : 164 garçons, 147 filles dont 49 en dessous de 2 ans. La liste comportant le nom de chacun de ces colons – puisqu’ainsi on les désignait dès le départ, est publiée en annexe du livre. Possibilité ainsi donnée aux descendants de retrouver la trace d’un ancêtre parti sur ce « Mayflower » des français d’Algérie.
Le roman est divisé en trois parties : Paris 1848, consacré à l’insurrection et à ses conséquences ; Le Voyage , trois semaines sur les canaux et sur le Rhône ; La Terre Promise où ils sont reçus dans les baraquements militaires et où absolument tout est à faire.
On a souvent pris tous ces candidats à la colonie pour des déportés. L’insurrection de 1848 matée par la République, on pouvait s’attendre à ce que les « brebis galeuses » qui avaient échappé aux exécutions, soient éradiqués de métropole afin d’assainir le paysage politique (comme ce sera le cas en 1871, après la Commune, où les communards seront envoyés en Nouvelle-Calédonie et en Algérie). En réalité, ces déportés de 1848 ne l’ont été qu’en 1850, à Lambèze, nous dit l’auteure. Eux, c’étaient des Parisiens chassés par la misère, appâtés par une campagne mensongère qui les invitait à aller peupler le nouveau territoire destiné à la colonisation.
Et, pas à pas, au rythme du halage des chalands formant le convoi, Michèle Perret nous entraine dans cette aventure débutée dans l’euphorie, à la perspective d’une vie heureuse en Terre promise. Des figures se dessinent : Antoine, Léonie, Jeanne Sabour, Louise, Catherinette et François Dubac, Mélanie, Raoul, l’affreux Jeanjean, et plus tard, à Saint-Cloud d’Algérie, Ahmed… Des personnages qui donnent corps et fluidité au récit fort documenté. Tout un kaléidoscope de personnalités fondant cette première société européenne.
L’arrivée dans cette terre promise si décevante, si hostile ne va pas entamer le courage ni l’énergie des vaillants colons. Et principalement des colonnes. Cet aspect de la colonisation féminine est intéressant. Michèle Perret met ces femmes humbles et fortes à l’honneur. Elles prennent en main l’organisation du quotidien, rétablissent l’ordre et la propreté, prodiguent les soins. Se dévouent lors de l’épidémie de choléra qui s’ajoute aux épreuves.
Le ton adopté par l’auteure est singulier, aligné sur le parler des faubourgs parisiens du XIXe siècle. On s’y fait très vite. Ce style nerveux, gouailleur, puissant rend cette fresque vivante, colorée, tellement réaliste. Le lecteur se retrouve dans les pages, à partager la vie de ces gens volontaires qui ont fondé le ciment de ceux qu’on appellera un jour « Les pieds-noirs ». Et pour les descendants de ces pionniers, c’est avec émotion et tendresse qu’ils reçoivent cet « album de famille ».
Citation (P 209) : « Imaginez, mais imaginez ces femmes du peuples de Paris, jeunes mères, futures mères, matrones ou vieilles femmes. Elles avaient parfois élevé une ou deux poules et quelques lapins dans d’arrière petit jardin des faubourgs, mais que connaissaient-elles de la campagne ? Que connaissaient-elles des pluies ou des sécheresses, de la fécondation des truies ou des brebis, de la conduite des bœufs ? De la plantation des pommes de terre, des herbes sauvages comestibles, des prédateurs, de la nuit africaine ( ?…) Et il semble qu’elles aimaient ça, malgré tout, si dure soit-elle, cette espèce de liberté, cette vie communautaire, aussi, rude mais gaie, qu’elles n’avaient jamais connues à Paris ».
Tandarica ( lecteur de Babelio) : Voici un très bon roman historique. En ce qui me concerne, un très bon roman (historique) fait oeuvre de littérature, en ce sens que la fiction s’affranchit progressivement de la réalité historique qui la nourrit et la transfigure. La postface m’a confirmé que : « Ni Antoine, ni Jeanne Sabour, ni Léonie, ni Raoul, ni Jeanjean le violeur, ni Louise l’infirmière bénévole, ni Ali, ni Ahmed n’ont existé et leurs aventures, leurs amours et leurs haines sont de pure invention. »
Le travail de la romancière s’appuie certes sur une solide documentation (une bibliographie est d’ailleurs proposée en fin d’ouvrage) et sur un émouvant et nécessaire hommage rendu aux 843 « transportés » de ce premier convoi de 1848 (cf. liste reproduite également en fin d’ouvrage), mais ce qui procure surtout un grand plaisir de lecture c’est précisément que cette histoire prend vie grâce au travail d’écriture romanesque. Ainsi, l’écrivaine va jusqu’à reprendre une romance ancienne (« Plaisir d’amour») chantée par Jeanne Sabour (cf. citation de la page 102).
De puissants portraits de femmes, un style très fluide, un rythme très alerte de la narration, une certaine poésie dans les descriptions de la nature, une réflexion subtile sur la liberté et l’injustice voilà ce que j’ai aimé, à l’image de ce beau passage que je cite pour finir :
« C’est le soir, à nouveau, une de ces longues et belles soirées du début du mois de juin. Antoine et Jeanne sont côte à côte, ils se tiennent par la taille et regardent ondoyer les blés mûrs. Leur première vraie récolte. Plus loin, on a planté de jeunes oliviers. Plus loin encore, les Arabes du douar gardent leurs chèvres. Ont-ils oublié ? Ont-ils pardonné ? Jeanne se sent toujours sourdement coupable, elle pense souvent à toute cette aventure, à tout cet héroïque voyage pour aboutir à ça. ».
On est presque trois ans plus tard et pour découvrir ce à quoi « ça » fait allusion, une seule solution pour vous : lire ce très beau roman, véritable ode à la vie simple.
Nina Rojtman –
J’ai trouvé ce roman historique d’une grande richesse documentaire, d’un style vivant très agréable à lire, et dont il émane un amour réel pour l’humanité, la beauté de la nature, et une foi en des valeurs qui tendent à être négligées ces temps-ci.
Un grand merci à Michèle Perret pour cette découverte, et pour ce beau partage que son ouvrage a permis. Partage avec ma mère, ancienne professeure de Lettres et de Linguistique, née à Oran, qui l’a beaucoup aimé aussi.
Merci à « Chèvre-feuille étoilée » de publier des auteures de cette qualité !
Maya Ravéreau –
Ce livre m’a passionnée car peu de monde raconte cette histoire-là, de manière si vivante. Bravo !