Je viens de terminer la lecture de L’amer noir. L’écriture est musicale et j’ai lu toutes ces pages de récit comme accompagnée d’une partition musicale. Le double récit – celui de Déni, puis celui de Déni en Moldavie – se répondent comme un miroir. Je dirais bien, comme elle, « et voilà ». En fermant le livre me sont venues beaucoup de questions. Ça m’intéresse, évidemment, j’ai tellement de questions sur ma famille polonaise disparue dans les affres nazies.
En lisant chaque année les livres de Nic Sirkis, je remarque cette année une maturité et une approche autour de son âme que je n’avais pas vues dans ses œuvres précédentes. Ce n’est pas un hasard qu’elle parle de Déni comme d’une cocotte minute qui va exploser, je pense qu’elle a beaucoup de choses à écrire, à dire, à livrer qu’elle ne s’est jamais permise de dire. Je la crois proche d’enfin livrer sa vérité et ses tripes, de lâcher ce qui bout en elle comme chez Déni. Dans ce dernier livre, elle s’en approche, tourne autour de sa vérité, esquisse quelque chose qu’on ne peut pas comprendre, puis s’éloigne sans laisser son écriture l’emporter au fond de ses blessures et de ses non-dits. Je suis curieuse de lire ses prochaines œuvres. Libèrera-t-elle sa violence ? Laissera-t-elle le volcan couler comme la lave jusqu’à la mer où tout s’apaisera ? J’ai vraiment l’impression que sa parole, encore bridée, est sur le point de franchir sa plume.
Corinne
Rien d’amer ni de noir dans ce livre : le titre est un calembour sur la mer Noire, lieu d’origine de la famille de l’auteure, et celle-ci fait preuve d’un optimisme chaleureux et d’une combativité de tous les instants. L’amer a aussi le sens d’un repère pour les marins, et elle est elle-même en quête d’un « re-père ». Elle rapporte en effet un témoignage autobiographique sur la quête de ses origines, sur son « papy russe » : encore un des jeux de mots, plus ou moins oulipiens, dont elle parsème son texte, comme « Déni », le prénom qu’elle s’est donnée. Elle découvrira que son grand-père était, avant la guerre de 14, où il combattit dans les Dardanelles, un petit propriétaire terrien juif en Bessarabie, la Moldavie actuelle. L’ouvrage est divisé en trois parties, appelées « épîtres ». Dans la première, elle décrit sa vie de militante tous azimuts depuis 1968, d’ « instit » fréquentant le joyeux bordel de l’université de Vincennes et ses ateliers de théâtre, et travaillant à un mémoire universitaire sur Hasard et création, à l’occasion duquel elle découvre la notion de « serendipity » dans la science et l’art, bien avant que celle-ci ne devienne à la mode. La deuxième partie, imprimée en italique, est le récit de son voyage avec ses deux filles jusqu’au fin fond de la Roumanie d’après Ceaucescu. Elle découvre avec sympathie la richesse affective et la solidarité des milieux vivant dans une relative pauvreté. Le passage sur les activités bruyantes d’une prostituée et de ses clients dans la gare d’un tram est très haut en couleurs, et nous laissons au lecteur la surprise qu’est la révélation du titre de l’épais livre dont les feuilles servent de torche-cul dans les cabinets d’un pays ex-communiste. Le rappel historique fourni par un archiviste local, parlant français, de ces « terres de sang » est impressionnant. La corruption des douaniers à propos d’une icône emportée dans les bagages ne surprendra pas. Dans la troisième partie, une jeune parente venue du berceau familial visite la France et s’y intègre, par le travail et les liens amoureux, tandis que sa mère tombe d’un cerisier et devient tétraplégique : la roue de la vie continue de tourner. L’auteure reprend ses interrogations à propos de toutes les victimes dont elle a connaissance, jusqu’aux migrants aujourd’hui en Méditerranée. Les péripéties de son voyage sont décrites par le menu, d’une plume alerte et précise, souvent enjouée, et ce livre se lit comme un roman, ce qu’il est presque. Avec simplicité, l’auteure parvient à nous fait partager une expérience unique, que d’autres dans le siècle peuvent avoir vécue.
Alain Chevrier
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