Chronique
Ma découverte d’Etienne Dinet
Merci à Naïma Rachdi pour m’avoir fait découvrir par la lecture de son « Etienne Dinet ou le regain de la peinture orientaliste » ce peintre – à cheval sur les 19e et 20e siècles – et son œuvre dont j’avoue que je n’avais jamais entendu parler… avant d’ouvrir ce livre publié aux éditions Chèvre-feuille étoilée. (Son nom n’apparaît même pas dans mon dictionnaire des noms propres !)
Dans cet essai illustré en pages centrales de magnifiques reproductions de l’artiste, l’auteure nous présente le cheminement atypique de cet humaniste à l’esprit aventureux, depuis sa jeunesse parisienne où il se lança, après une formation à l’Ecole Supérieure des Beaux Arts suivie d’une exposition aux Salon des Artistes Français, dans un 1er voyage avec une équipe d’entomologistes vers la région de Bou-Saâda dans le Sud Saharien. Rachdi accompagne son itinéraire artistique et spirituel jusqu’à sa mort en 1929, quelques années avant la parution de « L’œuvre d’Art et la reproductibilité technique » [l’œuvre où Walter Benjamin caractérise la « spécificité » unique de l’œuvre picturale par opposition à la « reproductibilité » de la photographie] date charnière où l’art moderne plonge dans l’aventure de l’abstraction dont les cubistes avaient préparé le terrain.
Etienne Dinet est lui le chantre de la peinture figurative. Ses toiles me font penser à Ingres, le peintre néo-classique né à Montauban et décédé en 1867 (6 ans après la naissance de Dinet) à Félix Ziem et aussi à Anders Zorn, son contemporain suédois, par l’exubérance de ses couleurs chaudes, comme sorties de la terre de Méditerranée, ocre, jaune, brune, vermillon, pourpre et grenat. Dinet qui avait exposé en 1888 à Paris avec les Impressionnistes au sein de son « Groupe des trente trois » s’est ensuite immergé complètement dans la culture maghrébine : il participa à Paris à la 1e exposition officielle « orientaliste » au Musée de l’Industrie puis installa son atelier à Biskra, après avoir allongé la durée de ses séjours semestriels en Afrique du Nord où il établit bientôt sa résidence principale.
Naïma Rachdi nous montre comment le peintre adopte complètement la culture de son nouveau lieu de vie, apprend l’arabe, se convertit à l’Islam, choisit un prénom musulman – Nasreddine – et rencontre celui qui sera l’ami fidèle : Sliman Ben Ibrahim avec qui il fit son pèlerinage à La Mecque.
L’œuvre de Dinet appartient à l’école orientaliste qui, parallèle à l’ère du réalisme en occident, disparaît avec la mort du réalisme et l’apparition de l’art abstrait. Les peintures de Dinet sont des fresques très riches en couleurs, baignées de luminosité solaire et représentent des paysages, des scènes de vie quotidienne, des portraits empreints du charme de l’allégorie et d’idéalisme. L’artiste peint dans ses toiles l’injustice et l’aliénation engendrées par le système colonial. Cette domination qu’il dénonce trouve résonance dans la dangereuse dérive actuelle où mène le débat sur le modèle d’intégration.
C’est pourquoi l’œuvre de Dinet, comme nous l’explique N. Rachdi, connaît un regain d’intérêt. En effet, si après avoir été très appréciées au début du 20e siècle, les peintures de Dinet ont été un temps oubliées [leur cote a chuté quand, à l’orée des luttes d’indépendance contre les empires coloniaux, les toiles de peintres « issus de la métropole » étaient assimilées à des œuvres de « colons », malvenues en ces temps de décolonisation de milieu du 20e] l’émergence en début du 21e siècle d’un éveil identitaire culturel les remet à l’honneur en particulier dans les récents très beaux musées du monde arabe. La cote de Dinet s’envole désormais dans les grandes maisons de vente (Sotheby’s ou Drouot) et Baigneuses dans l’oued a été vendu par exemple 304.000 euros en 2005 dans une vente aux enchères.
Etienne Nasreddine Dinet a publié L’Orient vu de l’Occident et œuvré en 1926 à l’édification de la Mosquée de Paris.
Le hasard des dates me fait noter qu’il est mort quelques mois avant L’Exposition Coloniale Internationale que la IIIe République ouvrait en mai 1931dans le Bois de Vincennes avec son zoo humain où huit millions de visiteurs purent observer le minéral, le végétal, l’animal, l’humain… présentés sur un même plan ! Cet hymne à l’eugénisme dressait un inventaire du vivant devant le regard du public, caricaturant l’altérité culturelle face à l’identité occidentale, dans une « monstration » de la barbarie africaine, banalisant le racisme dans la fascination du sauvage pour légitimer les fondements de l’ordre mondial et la typologie raciale de l’œuvre coloniale.
Ce modèle d’identité occidentale prétendait installer un ethnocentrisme raciste où enfermer les imaginaires collectifs. Or la pensée, la vie, la peinture d’Etienne Dinet ont œuvré à l’encontre de cette idéologie. Ce peintre, par son œuvre intime et ethnographique à la fois, a ouvert le regard du public vers une culture qu’il découvrait avec amour et respect. Alors que la question du voile est plus que jamais d’actualité, Dinet, artiste converti à l’Islam, présentait dans ses toiles des corps de femmes dans toute leur nudité en refusant, en avance de plusieurs décennies avant Frantz Fanon « …l’Arabe aliéné permanent dans son pays, (qui) vit dans un état de dépersonnalisation absolu. »
À Naïma Rachdi, Nic Sirkis, le 5 décembre 2011 Paris
(… à deux pas de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration !)
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