Edward Saïd, variations sur un poème

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Edward Saïd, variations sur un poème
Edward Saïd, variations sur un poème

Variations sur un poème

ISBN : 2914467346 Catégorie :

Description

VARIATIONS SUR UN POÈME

Edward Wadie Saïd est né à Jérusalem en 1935 et mort en 2003 à New-York. Sa vie fut, à plus d’un titre, exceptionnelle et exemplaire. Difficile de classer ce professeur de littérature comparée à l’Université de Columbia mais également musicologue et politologue.

Amina Bekkat montre dans ce court essai, qu’E. Said, le grand pourfendeur de l’Orientalisme, a été la preuve vivante de la fécondité de la rencontre entre ce qu’il est convenu d’appeler Orient et Occident à la condition qu’il n’y ait dans les rapports entre cultures et individus aucun complexe de supériorité ou d’infériorité dans quelque domaine que ce soit.

Détails du livre

Poids0,06 kg
Dimensions1 × 12 × 17 cm
Public

Ados, Adultes, Seniors

Auteur(e)

Amina Bekkat

Editeur

Éditions Chèvre-feuille étoilée

Préface

Préface de René-Paul Traversac

Edward Wadie Saïd est né à Jérusalem en 1935 et mort en septembre 2003 à New-York. Sa vie fut, à plus d’un titre, exceptionnelle et exemplaire. Difficile de classer ce professeur de littérature comparée à l’Université de Columbia (USA) mais également musicologue et politologue. Amina Bekkat (enseignante à l’Université de Blida) montre dans ce court essai, le rôle de la littérature universelle dans la conscience et l’attitude de ce grand honnête homme au sens du Siècle des Lumières. Littérature « qu’ Edwaaaard » (comme l’appelait sa maman[1]) enseignait avec tant de bonheur, curieux de tout, et fier de l’être, comme il était fier de son statut et de ses origines. Mais fier avec tellement de modestie, s’il est possible que ces deux postures puissent co-exister. Fier d’être à la fois exilé, comme beaucoup de ses compatriotes, et pleinement Palestinien. Fier et pourtant amer d’être arabe, juif, protestant, anglophone, francophone, arabophone, palestinien, libanais, égyptien, américain, écrivain, homme politique, musicien, journaliste, quoi d’autre encore ?[2] Fier et amer d’être beaucoup écouté mais peu entendu que ce soit des siens ou de ses adversaires.

Jamais satisfait et jamais découragé, il se dégageait de son attitude, comme de ses propos, une impression de force calme et de certitude raisonnée. Ce qui a permis à son ami le poète Mahmoud Darwich d’affirmer qu’: « Edward, par sa conscience vive et son encyclopédisme culturel, a placé la Palestine au cœur du monde et le monde au cœur de la Palestine. »

Lui, le grand pourfendeur de l’Orientalisme, sujet de l’un de ses tous premiers ouvrages, a été la preuve vivante de la fécondité de la rencontre entre ce qu’il est convenu d’appeler Orient et Occident à la condition qu’il n’y ait dans les rapports entre cultures et individus aucun complexe de supériorité ou d’infériorité dans quelque domaine que ce soit.

Son existence a été un perpétuel effort pour intégrer les différences culturelles que sa vie d’émigré lui a imposées avec, le plus souvent, fort peu de délicatesse. Bien entendu, son expérience de bourgeois aisé ne peut être transposée au plus grand nombre, notamment aux plus défavorisés, mais le principe de sa démarche est universel et permet, seul, la réussite d’une véritable intégration. Celle qui se réalise par acquisition et non par abandon, encore moins par reniement. Cette démarche est toujours douloureuse. Elle nécessite des efforts constants pour se mettre à la place de l’autre, non pour acquiescer, mais pour comprendre, afin de faire le tri entre le bon, le moins bon et l’inacceptable. Les émigrés les plus pauvres, également les plus nombreux, les émigrés « économiques » comme on les nomme, n’ont généralement ni les outils, ni le temps, ni la force de mener cette démarche, alors ils abandonnent, ils abdiquent, pour subsister, pour avoir la paix et ceci quel que soit le pays de départ et celui « d’accueil », comme on dit, pourquoi s’étonner alors que leur descendance, qui n’est plus immigrée elle, se révolte de l’humiliation imposée à leurs parents qui n’ont pu assimiler leur nouvelle culture tout en abandonnant leur ancienne non sans se crisper sur quelques aspects religieux ou culturels très souvent modifiés chez leurs proches restés au pays ?

Comment faire d’une déchirure, de traumatismes multiples et répétés, toujours semblables et jamais identiques, une force supérieure, inébranlable, pleine de douceur et de fermeté ? C’est ce que montre le texte qui va suivre en se fondant sur le rôle prépondérant de la littérature et de l’expérience d’écrivains célèbres, comme Joseph Conrad, mais également Adonis, Swift ou Adorno, dans la vie et l’œuvre d’Edward W. Saïd.

L’attitude existentielle d’Edward Saïd est un hymne à la Culture, aux cultures, sous toutes leurs formes. Son attachement à la littérature, aux littératures n’est pas un attachement professionnel mais viscéral. Il s’exprime peut être encore mieux, ou tout au moins de manière encore plus lumineuse dans son attitude musicale qui l’amènera à créer, avec son ami argentino-israélien, le grand chef d’orchestre Daniel Barenboïm, un orchestre le West-Eastern Divan Orchestra, composé de jeunes musiciens arabes, juifs et européens appelés à jouer Mozart à Weimar en 1999 puis plus récemment (en août 2005, deux ans après la mort d’E. Saïd) Beethoven et Mozart à Ramallah. Ils ont monté cet orchestre tant ils étaient persuadés que la musique est un langage encore plus universel que les langues toujours chargées de cette malédiction de la tour de Babel. Ils ont voulu, comme le répète D. Barenboïm, créer une « arme de construction massive » et cette arme ne pouvait être que musicale, composée de jeunes musiciens étrangers les uns aux autres, voire ennemis, qui ont appris à jouer ensemble les œuvres du répertoire musical universel. Les esprits chagrins ont eu peur d’un échec de ce concert à Ramallah dans le contexte de l’évacuation de la Bande de Gaza par Israël. Ce fut pourtant une réelle réussite. Cependant les appréhensions ne manquaient pas mais, une fois de plus, la compréhension, la tolérance, la volonté d’oublier les différences, les dissensions, la volonté de créer une belle chose, une chose que tout le monde peut apprécier, peut partager, a pris le dessus.

L’on pourrait multiplier les exemples dans les multiples facettes de l’existence d’Edward Saïd. La démarche fondamentale reste la même, écouter, analyser, comprendre et agir, au risque de se tromper mais avec la volonté constante de se remettre en question. Programme universel qu’il ne suffit pas d’énoncer mais qu’il faut, comme le fit Ed. Saïd, perpétuellement mettre et remettre en chantier.


[1] Cf « A contre-voie », l’autobiographie d’E. Saïd.

[2] « Je pense que l’identité est le fruit d’une volonté, disait-il en janvier 1997 au Nouvel ObservateurQu’est-ce qui nous empêche, dans cette identité volontaire, de rassembler plusieurs identités ? Moi, je le fais. Être arabe, libanais, palestinien, juif, c’est possible. Quand j’étais jeune, c’était mon monde. On voyageait sans frontières entre l’Egypte, la Palestine, le Liban. Il y avait avec moi à l’école des Italiens, des juifs espagnols ou égyptiens, des Arméniens. C’était naturel. Je suis de toutes mes forces opposé à cette idée de séparation, d’homogénéité nationale. Pourquoi ne pas ouvrir nos esprits aux autres ? Voilà un vrai projet.« 

Extrait

Il dit: Je suis de là-bas, je suis d’ici  et je ne suis là-bas ni ici

Mais cette diversité, ces ambiguïtés difficiles à vivre sont aussi une richesse. Richesse des langues: l’arabe bien sûr, plusieurs arabes, celui de la Palestine, celui du Caire, celui du livre sacré et celui de la douce intimité avec sa mère. L’anglais aussi, l’anglais de Shakespeare et de Conrad ce frère en exil. Le français un peu, pas aussi bien qu’il l’aurait voulu. Une incroyable facilité pour passer d’une langue à l’autre dans les articles écrits pour les journaux égyptiens en arabe, pour sa chronique musicale hebdomadaire en anglais dans un journal américain. Il parle dès l’enfance l’arabe et l’anglais mais il évoque «  cette déchirure fondamentale, celle qui sépare l’arabe ma langue maternelle et l’anglais ma langue scolaire et par la suite ma langue d’expression en tant qu’universitaire et professeur. « 

Tâche compliquée que connaissent bien les auteurs maghrébins qui écrivent en français mais continuent à penser  en arabe, ce que Meddeb nomme joliment  palimpseste du bilingue . Situation shizophrénique que Todorov lui-même de retour en Bulgarie et parlant de cette dualité douloureuse qui déchire sa vie décrit cette impression persistante : »  l’une de ces vies doit être un rêve . »

J’ai une langue anglaise au vocabulaire docile pour écrire. Et une autre venue des conversations du ciel avec Jérusalem. Son timbre est argenté mais elle est rétive à mon imagination

Ainsi se partagent les deux langues. L’anglais est la langue de l’enseignement à l’université de Columbia en plein centre de New York où il détient une chaire. C’est aussi la langue de Shakespeare et de Conrad. Mais l’arabe est la langue de l’intimité douce avec sa mère qui compta tellement pour lui, avec sa femme Mariam palestinienne comme lui et  » des conversations du ciel avec Jérusalem. » Jérusalem, tant chantée, ville des rêves et des roses comme le chantait Fairouz, ville des enfants,  ville de l’espoir. Jérusalem, prise « aux rets des dieux » comme le déclame le poète Adonis dans Le voile de Jérusalem

Je ne vois pas Jérusalem

Mais en son nom

Au nom de ses murs

De ses prophéties

Et des langues qui s’y entre-tuent

Je vois des hommes divaguant ivres

De leurs décombres et du sang qui coule

Fleuves de manne et de miel ;

Dans les mappemondes de leurs rêves

Ils écrivent leur chronique

Dans des ruines que hantent

Des spectres confus

Je ne vois pas Jérusalem

Mais j’interroge ses pères

Ses enfants et tous ses descendants :

Comment donner à la Terre

Ce que le ciel a pris ?

Comment bâtir les cités de la poésie

Et de l’amour sans délivrer Jérusalem

De son illusion, de la poussière céleste

Et des rets des dieux ?

Mais il arrive que le rêve se brise sur les souffrances du quotidien, les exactions, les injures, et alors les enfants abandonnent leurs jeux pour se munir de pierres…et Jérusalem, « lieu de convergence de messages divins, de civilisations et de cultures, de prophètes et d’envahisseurs » devient le lieu d’affrontements sanglants et les enfants, proies faciles et offertes, meurent d’avoir cru en la justice.

Plus Tard dans Reflections of exile, Edward Said devait écrire:

« Comme tant d’autres j’appartiens à plus d’un monde. Je suis un Arabe palestinien et je suis aussi un Américain. Cela m’autorise une perspective étrange, pour ne pas dire grotesque. De plus je suis universitaire. Aucune de ces identités n’est étanche. Ce qui complique les choses, c’est que les Etats-Unis viennent d’engager  une guerre destructrice contre un pays arabe, l’Irak qui lui-même a occupé illégalement et selon l’avis de tous a tenté d’éliminer un autre pays arabe, le Kuweit .Les Etats-Unis sont aussi le principal Sponsor d’Israël, l’état qu’en tant que Palestinien j’identifie comme ayant détruit la société et le monde dans lequel je suis né( …) Aussi me demande-t-on de négocier les tensions et contradictions implicites dans ma propre biographie. »

Difficile de gérer tant de contradictions et de dilemmes. Mais c’est compter sans le courage et la détermination d’Edward Said qui, sans se lasser, dans les journaux auxquels il collabore, dénonce, reprend, remet en cause sans se laisser prendre au piège d’un parti ou d’un côterie. Et cela jusqu’au dernier jour, jusqu’au dernier souffle alors qu’il supplie ses proches de continuer à lutter et à espérer.

Le 15 novembre 1988,  il a lu à Alger la déclaration de naissance de l’Etat palestinien. En 1977 il avait été élu au Conseil National de Palestine dont il fit partie jusqu’en 1991, date de sa démission. The question of Palestine est paru en 1979. Parmi les sujets qu’aborde cet ouvrage figure la psychologie du refus de reconnaître l’existence de l’autre, « ou de penser psychanalytiquement » la question que ce refus soulève.

 »   Il nous invite à considérer les effets de « l’hallucination négative » qui consiste à ne pas voir l’existence d’un objet ou de l’autre. Ainsi, en examinant la structure de l’oppression, nous devons non seulement envisager ce que l’oppresseur projette sur l’opprimé (par exemple, la violence israélienne projetée sur le peuple palestinien) mais nous devons prendre en compte le refus de reconnaître l’existence de cet autre ( en l’occurrence la répugnance d’Israël à reconnaître l’existence des Palestiniens.) C’est cet combinaison d’hallucination positive et négative qui rend cette relation d’objet, comme nous la qualifierions en psychanalyse, non seulement toxique et psychotique. (…) A bien des égards, les écrits d’Edward Said non seulement constituent une résistance littéraire au « génocide intellectuel » qui affleure dans un trop grand nombre de textes européens concernant les Palestiniens, mais fonctionnent simultanément comme une résistance à une imposition schizophrénogène

    • . »

Mais déçu par la corruption des dirigeants il se désolidarisera pour rester celui qui, en marge, mais toujours en éveil, interroge et critique. Dans les Conférences Reith reprises sous le titre, L’intellectuel et le pouvoir, il nous parle du rôle de l’intellectuel dans la cité. C’est un éternel outsider qui est écrasé par le rôle des médias mais qui doit cependant pour respecter ses engagements d’intellectuel, «  démasquer pour retrouver un semblant de vérité et ce n’est pas chose aisée lorsque les médias semblent s’entendre pour répandre des idées fausses. « 

Dans un recueil d’articles de journaux, Covering Islam, Edward Said dénonce les  définitions caricaturales et les explications fondées sur l’ignorance  que les medias occidentaux donnent des musulmans. Le monde musulman couvre une infinité de peuples et de traditions et les enfermer dans des notions aussi réductrices que les islamistes ou pire les fondamentalistes ou les fous de Dieu ne peut que nuire à la compréhension de l’autre. Des termes comme Paix ou Démocratie sont alors utilisés à des fins de domination. Le terme Islam aujourd’hui porte dans le monde occidental un label idéologique et, tout comme les descriptions des orientalistes à la fin du 19ème siècle, il fonctionne sur des préjugés et des clichés soigneusement entretenus.

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