Wassyla Tamzali
Dévoilement
Atermoiments
Et soudain surgit la burqa. Dans les média s’entend. Les esprits se sont enflammés, les politiques et les leaders d’opinion sollicités, harcelés. Des femmes vêtues de noir, entièrement recouvertes, le visage caché, hantaient les villes, on en voyait à la sortie des écoles dans les rues, les grandes surfaces, à la Une des grands quotidiens, à la télé. Elles portent la burqa ! Le mot est lancé : burqa. Qu’importe qu’il soit déjà utilisé là-bas en Afghanistan, et qu’il désigne autre chose, quelque chose de pire disent certains pensant que l’horreur se mesure à l’épaisseur du voile ou à sa couleur. Niqab ou burqa, la fortune du mot est assurée, les journaux titrent « la burqa ». La question du voile intégral est devenue la question de la burqa. Elle restera longtemps dénommée ainsi. C’est sous ce nom que nous l’interrogerons.
Bon nombre de français, comme de « représentatifs » de la communauté musulmane, comme on les appellent trop hâtivement dans les bureaux de préparation d’émissions de télévision, de rédactions de la presse écrite, répondent à la question de la burqa avec des précautions de ministres chargés de la paix sociale, de stratèges politiques, d’experts en droit constitutionnel. La commission parlementaire sur le voile intégral a rendu son verdict : si la burqa est incompatible avec les valeurs françaises, il est tout autant incompatible aux traditions françaises d’interdire par une loi générale, et sur tout le territoire français la burqa. La France n’est ni l’Afghanistan, ni l’Iran, ni le Soudan. Ici en démocratie, on ne légifère pas sur les façons de s’habiller.
Pour une raison ou une autre, rares sont ceux qui disent ce qu’ils pensent, très rares sont ceux et celles que l’on entend. Certains refusent même d’avoir un jugement, « ce n’est pas ma culture, pas mon environnement, pas ma vie », propos relevés sous la plume d’un professeur d’université, plus exactement de l’Observatoire des religions de l’Institut de Sciences politiques d’Aix en Provence. Partant de cette indifférence au cœur du savoir français, qu’en serait-il de l’esclavage, de la polygamie, du mariage des petites filles nubiles, des mutilations sexuelles, de toute « la culture » du monde ? Faudra-t-il, dorénavant enseigner les droits de l’homme et leur limite de dépassement : l’esclavage non, la burqa oui ? Leur régionalisme ? Faudra-t-il accepter de parler quantitativement des droits fondamentaux, et renoncer à l’idée de l’imprescriptibilité et de l’indivisibilité ? Les mots sont rébarbatifs, d’un autre siècle. Il faut pourtant en passer par là, affronter l’ironie de ceux qui nous regardent comme de doux rêveurs un peu démodés, des utopistes humanistes
.J’aurais aimé entendre ici l’identité nationale, à travers les réponses de toutes et de tous, qu’elles soient, qu’ils soient judéo-chrétiens, musulmans ou athées. Silence. Paroles volées par un état qui enquête sur l’identité nationale au lieu de s’interroger sur la citoyenneté en France. Les questions ne manquaient pas, celle du vote des étrangers par exemple. Chacun aurait été à sa place, la société civile s’interrogeant, se disant, avec des mots propres à nous renseigner sur ses mœurs, ses habitudes, ses convictions, condamnant quand elle le juge impérieux, au nom des principes qu’elle veut défendre, exprimant un jugement moral, et le gouvernement questionnant et se questionnant sur ses devoirs, ses obligations envers les citoyens dans l’indifférence de leurs identités, de leurs religions, questionnant et se questionnant sur les obligations de ces citoyens, entre eux comme vis à vis de l’Etat. Nous aurions peut-être constaté que le débat qui agite les esprits n’était pas le signe d’une guerre des cultures, d’une guerre des religions, de l’arrivée d’un califat universel – le délire de certains – mais d’un conflit entre la citoyenneté en France définie par l’accès et le respect des lois par tous ceux vivant sur les territoires français, et les mœurs. Montesquieu disait que les mœurs sont toujours en conflit avec les lois, et qu’entre les deux il fallait choisir les lois.
J’aurais aimé entendre condamner moralement, cette pratique barbare et offensante pour les consciences modernes, croyantes ou pas. J’aurais aimé voir sortir de leur réserve certains de mes amis. J’attendais d’eux qu’ils expriment leur solidarité en condamnant cette pratique au nom des idées que nous partageons de la dignité humaine, des droits des femmes, de toutes les femmes vivant sur le territoire français. Leurs voix auraient pesé et recouvert celles de ceux qui condamnent ces pratiques parce qu’elles viendraient d’ailleurs, et que de ce fait elles mettraient en péril la France « envahie » par les arabes et l’islam. Ils auraient aidé à lever la peur devant l’inconcevable morale sexuelle de domination des femmes au nom d’une religion, qui atteint ici sa limite de déshumanisation. Une peur que l’on devine dans les yeux et les silences de certains, désorientés par ce surgissement. Peur secrète, peur trouble, peur refoulée. Arrière pensée ou non pensée, une peur présente en chacun, musulmans compris. Les peurs et le racisme ordinaire sont si imbriqués qu’il est difficile de faire la part de l’un et l’autre, et l’on aurait tort de les confondre et de les condamner de la même manière ; un amalgame dangereux qui ne fait que pousser de plus en plus de personnes dans le camp du racisme. C’est dire l’importance de la condamnation sans réserve par celles et ceux qui sous prétexte de la xénophobie qui colle à la question, se réfugient derrière un « non, mais… ». Il y a, il y aura toujours des imbéciles et des malfaisants, mais nous ne devons pas nous laisser dicter notre conduite par eux. Et puis, au risque de choquer, je trouve plus grave la burqa que ce que peuvent penser les imbéciles. Ajoutons aussi que rien ne peut changer leurs attitudes, surtout pas l’apparition agressive des voiles intégraux. J’ai retrouvé dans cette posture du « Non, mais » des amis qui avaient fuient ces terres de l’islamisation des mœurs que sont devenues les nôtres. Ils ont fuient les terres de la pureté identitaire. Je regrette ces positions sur la burqa, particulièrement les leurs, car elles étaient attendues, et elles ont contribué à obscurcir le débat. Comme moi ils considèrent que la burqa ne peut être assimilée à un trait de culture ou un signe religieux, que c’est une offense aux femmes, et aux musulmans d’ici et d’ailleurs. Pour eux comme pour moi, la burqa est inacceptable, mais ils persistent à rester dans l’ambiguïté, « Non, mais.. ». En cas de grand danger le chemin du milieu mène directement à la mort. Cette phrase, le titre d’un film allemand des années 70, me suit toujours. Elle m’aide à souligner les dangers des demi-mesures quand il s’agit d’énoncer une position de principe. Comme dans le cas du voile intégral. Nous sommes obligés de constater que ces diverses positions renforcent l’incertitude des pouvoirs, comme celles de nombreux Français qui répugnent à intervenir contre ce qu’ils considèrent encore comme le trait d’une culture ou d’une religion. Les positions des uns et des autres brouillent le message que la société française aurait du faire entendre. Ces atermoiements ne sont pas propres à faire reculer la menace de ségrégation sexuelle en marche depuis des décennies en France. Nous assistons maintenant à une radicalisation de ce mouvement qui se dévoile, pourrait-on dire, par l’apparition de la burqa ` ou d’autres obédiences islamistes vivant elles aussi aux frontières de la légalité et à la barbe des pouvoirs publics. La seule réponse capable de peser sur le débat, de faire reculer ce phénomène dangereux et offensant aurait été une condamnation unanime, sans restriction ni ambiguïté, ferme et forte de la burqa, et de ceux qui agitent les épouvantails de la xénophobie, ceux qui jouent des alarmes bien naturelles des honnêtes gens devant les mœurs que révèlent la burqa et toutes formes de voilage, petit et grand, partiel ou total, noir ou de couleur pastel.
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