Amours rebelles

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Amours rebelles
Amours rebelles

Ainsi une petite fille, jusqu’au mariage licite qui fera d’elle une femme puis une mère, entend dire et répéter, dans la chambre des femmes, le patio métaphorique ou réel, au bain, à la promenade, dans la cuisine où s’apprennent les gestes d’une bonne maison…

ISBN : 2914467273 Catégories : ,

Description

« Ainsi une petite fille, jusqu’au mariage licite qui fera d’elle une femme puis une mère, entend dire et répéter, dans la chambre des femmes, le patio métaphorique ou réel, au bain, à la promenade, dans la cuisine où s’apprennent les gestes d’une bonne maison, que le meilleur époux, pour elle, comme pour toutes les femmes avant et après elle, sera, sinon un cousin germain, du moins un musulman, le père de ses enfants qui transmettra, et lui seul, la religion des ancêtres depuis le Prophète. »

Détails du livre

Poids0,228 kg
Dimensions1 × 11,5 × 21 cm
Public

Ados, Adultes, Seniors

Auteur(e)

Behja Traversac

Editeur

Éditions Chèvre-feuille étoilée

Quatrième

Des femmes, des jeunes filles parlent. Librement, elles abordent des sujets dits « tabous », et Behja Traversac les sollicite, les écoute, les accompagne avec un désir inentamable d’élucidation et de justice.

Elles évoquent leur vie, leurs choix, leur volonté d’obéir ou de se rebeller face à l’intolérance d’une société où les traditions sont si étroitement amalgamées à la religion qu’elles ne s’en distinguent plus. Lucidité, objectivité et clarté sont les mots qui caractérisent ces pages, accompagnés de celui qui, au centre de tout, maintes fois prononcé au cours de ces entretiens, anime la flamme, ravive les bonheurs et les douleurs, illumine des vies parfois sans que les « disantes » n’en prennent conscience : le mot Amour. Un mot que tous les censeurs et toutes les censures évoqués çà et là voudraient oblitérer, mais qui resurgit, à la pointe d’une exclamation, d’un regret, d’un silence.

Maïssa Bey

Préface

La maison interdite

 La parole sacrée dit que celle qui n’est pas dans la voie de Dieu sera interdite de maison. Que la maison de son père ne sera plus sa maison et que les « Gens de la Maison » ne la prendront plus comme fille, sœur, cousine, nièce… N’observant pas la loi divine, elle sera sans toit. Vagabonde, renégate, exclue. Et qui sera là, au jour dernier de sa vie, pour observer le rite ? Qui dira pour son âme, au jour dernier, devant Dieu, la prière des morts ? Qui saura la mettre en terre suivant la loi musulmane ? Seule et maudite, sans Dieu ni maison, elle sera l’égarée.

Tel est le destin que promet le père au nom du Dieu qui dit la loi, à sa fille insoumise et fugueuse. Pas seulement le père, la Maison tout entière, la Maison d’Islam.

Et que dit la loi implacable ? La loi dictée par le Tout Puissant, clément et miséricordieux. Elle dit, depuis le premier jour de l’Islam, qu’une musulmane ne doit pas épouser un non musulman, sous peine de quitter pour toujours la Maison d’Islam. Un impératif catégorique auquel pas une femme, née en terre d’Islam dans la maison de son père musulman, ne déroge.

Ainsi une petite fille, jusqu’au mariage licite qui fera d’elle une femme puis une mère, entend dire et répéter, dans la chambre des femmes, le patio métaphorique ou réel, au bain, à la promenade, dans la cuisine où s’apprennent les gestes d’une bonne maison, que le meilleur époux, pour elle, comme pour toutes les femmes avant et après elle, sera, sinon un cousin germain, du moins un musulman, le père de ses enfants qui transmettra, et lui seul, la religion des ancêtres depuis le Prophète. Elle pourra refuser un mari imposé qui ne lui convient pas, le mariage ne se fera pas sans son consentement, mais l’époux sera musulman, forcément musulman, quelle que soit sa terre natale, sa langue même, et la couleur de sa peau, il sera musulman, il habitera la maison avec l’épouse, ils seront heureux, dans le chemin de Dieu et la Maison d’Islam, même si vivent dans les maisons voisines des étrangers, nazaréens ou juifs. Ils seront heureux.

La petite fille, jeune fille, vivra sous haute surveillance. Nubile, on veillera à l’honneur de la Maison, les interdits à tout instant réitérés, protecteurs de la virginité offerte au père légitime de ses enfants légitimes, sinon, comment être sûr ? On connaît les ruses des femmes, celles qui n’obéissent pas, celles qui marchent trop longtemps dans la rue et seules, celles qui délaissent la grande ou la petite maison et les enfants à nourrir, à éduquer pour qu’à leur tour ils enseignent à leurs enfants le chemin de Dieu et ses lois. Épouse, elle sera là pour veiller, depuis le premier jour de la vie de ses filles, à la bonne observance de l’ordre musulman. Le licite et l’illicite. Pour le bien de tous et toutes, le contrat social et religieux sera observé à chaque instant et au mieux.

Le moindre écart et la maison s’écroule. Pour la maintenir debout, il faut observer la loi et les rites ou quitter la maison. C’est le prix d’un ordre séculaire que supporte la femme exemplaire, bonne fille, bonne épouse, bonne mère, bonne musulmane. Gardienne vigilante de la Maison d’Islam. Et celles qui n’obéissent pas ?

Behja Traversac les écoute, attentive, patiente, généreuse. Elles parlent.

Elles connaissent les prescriptions, toutes les prescriptions, depuis si longtemps. Certaines rappellent la loi inscrite, en ce troisième millénaire, dans le code de la famille algérien, art. 30 et 31 :

« La musulmane ne peut épouser un non musulman. Le mariage des Algériens et des Algériennes avec des étrangers des deux sexes obéit à des dispositions réglementaires. »

Dans le code de la famille marocain, art. 31 :

« Les empêchements temporaires au mariage sont : le mariage d’une musulmane avec un non musulman. »

Le code de statut personnel tunisien ne contient pas ces interdictions, mais, souligne Alya Chérif Chammari, avocate citée par Behja Traversac :

« La Tunisienne musulmane ou d’origine musulmane ne peut épouser un non musulman qu’après la conversion de celui-ci à la religion musulmane. »

Celles qui rappellent ces interdits sacrés et qui y souscrivent parce que, elles le savent, une femme en dissidence manifeste vivra un enfer (si elle ne va pas aussitôt en enfer) en terre d’Islam, ces femmes qui acceptent, sans en souffrir, la loi prescrite, oublient ce que disent les constitutions des trois pays : « Tous les citoyens sont égaux devant la loi ».

Les femmes soumises à ce point et à d’autres points du code de statut personnel (à peine réformé en Algérie et au Maroc) sont moins égales que les hommes, leurs frères, cousins qui, suivant le modèle du Prophète, sont autorisés à épouser une non musulmane, la religion se transmet par le père à ses enfants. Un enfant de père musulman est musulman dès sa naissance et jusqu’à sa mort.

Celles qui n’obéissent pas, celles qui transgressent et qui parlent haut et clair avec Behja Traversac sont des rebelles, des dissidentes. Offensives. Elles ont aimé l’étude, les livres, elles respectent le Livre, mais elles le questionnent, comme elles questionnent la société, ses conformismes, ses contradictions, ses archaïsmes, mais aussi ses mutations. Le mariage obligatoire donne à une femme son statut de Femme, Épouse, Mère, c’est la loi du groupe, du père, de Dieu lui-même.

Elles sont célibataires.

La femme, sujet libre et incontrôlable, fait peur, son désir de l’étranger fait scandale.

Elle est libre, elle aime l’étranger prohibé, le non musulman.

On dit qu’il faut préférer le frère de sang, de langue, de religion, de terre.

Sa préférence, c’est l’Autre, autre absolument, le non musulman.

On lui dit qu’elle trahit, qu’elle renie sa maison natale, la Maison d’Islam.

Elle dit qu’elle aime toujours Dieu, son père, sa mère, les « gens de la maison », mais que l’amour est plus puissant qu’une loi inique qui opprime, enferme, sépare pour être toujours entre soi.

Elle dit qu’elle n’a pas été volée dans la violence et qu’elle est une citoyenne qui réfléchit, un sujet libre qui ne subit pas un destin prescrit, tracé pour elle, de la maison à la tombe. Elle dit qu’elle s’autorise à aimer l’étranger et elle aime l’étranger dans sa maison à elle, respectueuse des autres, de l’Autre et des siens qu’elle n’a pas perdus, parce qu’elle n’a pas perdu son âme.

Leïla Sebbar

Extrait

Qu’importe la beauté de cette jeune femme d’ici et de là-bas ! Chems donne d’abord à voir son regard d’infinie douceur. On sent chez elle le frémissement d’une inquiétude secrète et pourtant elle insuffle une impression d’apaisement, de tendresse. L’attachement qu’elle porte à son pays natal, pays de la mère, n’aliène en rien celui qu’elle dédie au pays du père. Ses mots viennent d’un lieu d’elle seule connu d’où se sont éclipsées les frontières, ouvrant l’espace au rapprochement, à la rencontre, à une vision solaire de l’Autre. Comme si Autre elle réunissait les autres en elle, non pour les confondre, mais pour les distinguer et les unir, les différencier et les croiser. Mais cette pause qu’elle consent au seuil de chacun ne lui fait rien concéder sur l’essentiel, rien non plus de ce qui ne peut se dire que par ce qui se tait.

Je suis au cœur de la mixité

« Moi je donnerai ce que j’ai,

ce que je peux de ma culture, dans sa totalité.

Elle est à moitié l’un, à moitié l’autre. »

Chems : Ma vie en Algérie en tant qu’enfant de couple interculturel ? Non, je ne peux pas dire que cela m’ait posé des problèmes. Globalement, je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu une distinction négative entre moi et d’autres filles non issues de mariages « mixtes ». Bien sûr, il y a des imbéciles partout et j’en ai forcément rencontrés, mais je ne peux pas dire que j’ai vécu ma situation d’enfant « mixte » d’une façon très différente ni avoir réellement subi ou souffert d’ostracisme. A la limite je dirais que j’ai eu plus à affronter des interrogations en France qu’en Algérie. En Algérie chacun se faisait son idée ; selon le milieu soit on me considérait comme algérienne, soit on me considérait comme française, mais on ne me posait pas de questions, on ne m’interrogeait pas sur mes origines. En France, lorsque je suis arrivée, c’était souvent  « alors, tu te sens plus française ou plus algérienne ? » Pour répondre à votre question de départ, on ne me distinguait pas en Algérie en tant qu’enfant « mixte ». Si cela a posé problème, c’est à ceux qui sont intolérants, pas à moi.

Vous pensez que le regard social et familial à votre égard était neutre ? 

– Au regard de la majorité des gens j’étais algérienne. D’autant que j’avais un prénom algérien qui ne me désignait pas particulièrement. Il me semble que je me fondais dans une certaine  « algérianité » et que loin de me la contester, socialement on me l’octroyait d’office si je puis dire, que je le veuille ou non d’ailleurs.

Même quand vous disiez votre nom ?

– Je n’avais à dire mon nom que dans certaines circonstances. Les gens que je côtoyais fréquemment c’étaient soit les amis de mes parents qui connaissaient forcément mon nom et desquels je n’ai évidemment eu aucune remarque d’aucune sorte, ou mes amis du lycée Descartes3 et mes cousins et cousines. Peut-être qu’après tout, s’il y a eu une ou deux réflexions qui m’ont marquée, elles sont venues de la famille de ma mère.

C’étaient des réflexions de quel ordre ?

– A vrai dire c’était assez diffus. Ce sont des réactions verbalisées ou non mais suffisamment perceptibles pour que je m’en aperçoive, des phrases qui s’arrêtent quand on réalise que je suis là. Ce n’était pas dirigé contre moi, non je ne crois pas, mais des choses de l’ordre de la critique de ce qui se rattachait à « la francité ». Je sais qu’une fois au moins j’avais été très blessée par ce qui a été dit par une de mes cousines, parce qu’il me semblait que cela concernait, touchait une part de moi. La manière dont cette remarque avait été dite m’avait vraiment perturbée et pourtant, aujourd’hui je ne me souviens pas vraiment de sa teneur. Mais même là ce n’était ni fréquent, ni mal intentionné à mon égard. Je sais que je suis très aimée dans la famille de ma mère.

Parmi vos amis ou vos cousins vous n’avez jamais ressenti de stigmatisation ?

– Non, pas du tout, je n’utiliserai pas ce terme pour ma vie en Algérie. Une fois, lors d’une discussion avec des amies chez mes cousines où il s’agissait de savoir laquelle pouvait fumer devant ses parents, j’ai dit spontanément ce que m’avait dit mon père : « tu es libre de fumer, mais surtout ne le fais pas en cachette » et ma cousine a répondu « oui mais elle, son père est français ». C’était juste une précision pour expliquer que ce serait moins évident par rapport à un père algérien mais ça n’avait aucune connotation « stigmatisante ». Je rapporte cette petite anecdote pour dire que la différenciation se situait souvent dans ce sens là, c’est-à-dire plutôt positif. Enfin, c’est ainsi que moi je le ressentais.

Et au lycée, comment ça se passait ? 

– C’est difficile de prendre le lycée comme exemple puisque c’était un lycée français où il y avait 61 nationalités si je me souviens bien. Il y avait beaucoup d’enfants franco-algériens. Mais c’était des enfants de père algérien et de mère française pour la majorité ou de père algérien et de mère d’une autre nationalité. C’est vrai que étant de mère algérienne et de père français j’étais une quasi exception, je n’ai connu qu’une seule personne qui avait la même mixité. Sinon Descartes rassemblait des enfants qui avaient vécu avec leurs parents dans différents pays avec des inter-culturalités de tous horizons, pas seulement algéro-quelque chose mais aussi des enfants issus de cultures très diverses comme une amie sino-camerounaise, une autre indo-chilienne… Le lycée Descartes était un établissement français mais la composante de ses élèves était cosmopolite, internationale. Sa richesse c’est qu’il n’y avait absolument aucune barrière entre les cultures, je ne me souviens pas de réactions négatives d’élèves par rapport à une origine ou à une autre… peut-être y avait-il quelques cas, ça on ne peut jamais tout à fait l’exclure, comme partout, mais ça devait être rarissime car je ne m’en suis pas aperçue…

…pourtant il me semble qu’on distinguait les groupes : les Français, les Algériens et « les étrangers ». 

– Mais ça c’était l’administration pour les questions de droits de scolarité qui étaient effectivement différents selon qu’on était Français, Algériens, bi-national ou étranger. Moi je parle des lycéens, je parle de notre rapport les uns aux autres. Jamais ces questions n’étaient même effleurées entre nous. Ça ne nous venait pas l’esprit. Au contraire il y avait quelque chose à Descartes d’irremplaçable, une ouverture aux autres qui n’était pas réfléchie, qui était évidente, naturelle. En tout cas les élèves la vivaient comme ça. Les frontières entre les élèves étaient d’un ordre plus… « consumériste. ».

Et dans la rue, vous sentiez- vous différente ? 

– Non, il n’était pas écrit sur mon front que j’étais « mixte »… Physiquement, je passais facilement pour une Algérienne, que j’étais, en partie au moins. Une fois, une réflexion m’a choquée. Je marchais dans une rue d’Alger avec un de mes frères, qui lui ne passe pas tellement pour un Algérien, et un homme m’a dit de façon agressive « tu n’as pas honte, toi une Algérienne, tu ‘‘sors » avec un gaouri4 ! » Je pense d’ailleurs que ce frère là qui a un physique presque nordique a réellement souffert du racisme, bien plus que moi. Ceci dit, il a gardé des copains algériens en France avec lesquels il s’entend très bien. Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’un Algérien noir à Alger souffrira de racisme tout autant, si ce n’est plus qu’un enfant « mixte » blanc ou un Européen. Pas pour les mêmes raisons.

Dans votre quartier, ça se passait bien ?

– Dans notre rue nous étions rejetés puisque tout le monde savait que ma mère était mariée à un Français. Mais c’était plus un agacement, assez pesant pour nous c’est vrai, qu’une souffrance. Il y avait beaucoup de bêtise de la part des gamins surtout, là il y avait une certaine stigmatisation, nous n’avions pas notre place comme d’autres gamins dans la rue. Mais nous avions une éducation suffisamment solide pour replacer ces attitudes sur le plan de… l’ignorance. C’est sans doute notre propre conscience de la cause du rejet dont nous faisions l’objet qui nous a permis de nous distancier par rapport à ces petites agressions, de ne pas en souffrir profondément. En revanche, la dernière année que j’ai vécue à Alger, mes deux frères étant partis en France, je me suis sentie, par moment, en insécurité. Pas toujours d’ailleurs et il y avait quand même des gens dans la rue qui étaient très gentils avec moi. La majorité des gamins était bête et méchante, certes, mais je savais que c’était par manque d’éducation, par faiblesse d’instruction, donc ça passait. Je n’ai jamais accordé à ce phénomène une importance très grande. Aujourd’hui je n’en ai pas de souvenirs désagréables, en tout cas pas douloureux.

On peut donc dire que vous n’avez pas été victimes de comportements racistes ?

– Si, dans notre rue, le racisme était là. Il était clair et net. Il n’y a pas d’autres mots. Ce n’était pas du racisme parce qu’on était Français, puisque nos prédécesseurs dans la maison, qui étaient « franco/français », disaient qu’ils n’avaient pas souffert de racisme. Nous, nous étions Français mais avec une mère algérienne. C’est toute la différence et elle est de taille. Si notre père avait été algérien et notre mère française, nous aurions eu beaucoup, beaucoup moins de problèmes.

L’union interculturelle est « naturelle » pour vous ? 

– Oui, on peut le dire comme ça. Je vis moi-même avec quelqu’un qui n’a pas les mêmes origines que moi, tout au moins en partie. Peut-être que des gens qui sont traditionnellement ancrés dans une culture unique peuvent se sentir mal à l’aise dans une culture différente. Et encore, je n’en suis pas certaine. Je crois surtout que chaque culture possède des lieux en commun, je veux dire des lieux de rencontre. Je ne crois pas du tout que les cultures soient des blocs hermétiques. Au contraire, elles sont toutes pleines de portes d’entrée, il suffit d’avoir envie de les ouvrir. Un couple, quelle que soit l’origine de l’un et de l’autre, est surtout confronté à sa relation humaine, affective et, aussi prosaïquement que cela puisse paraître, à la gestion du quotidien.

Vous m’avez dit vivre avec un non musulman, mais auriez-vous accepté de vivre avec un Algérien d’origine musulmane ? 

– Je ne me pose pas la question en ces termes. Si c’est vivre avec un homme machiste, c’est non. Pour moi, ce n’est pas un problème d’origine, ce n’est pas un problème de tel ou tel référent culturel, c’est un problème de rapport hommes/femmes. C’est vrai que chez beaucoup d’Algériens il y a un fond machiste évident et c’est ça que je rejette et non le fait qu’il soit algérien et/ou d’origine musulmane. Au contraire, parfois je me dis que c’est plus simple de vivre avec quelqu’un qui a la même culture. En fait pour moi, il s’agit dans la relation d’être au même niveau de valeurs. S’il y a un trop grand écart par rapport aux valeurs auxquelles on tient, auxquelles on se réfère pour former un couple, si on ne pose pas les choses importantes sur le même plan, là, je pense que ça peut se ressentir de façon négative dans une union qu’elle soit interculturelle ou non. Deux personnes de cultures différentes peuvent partager les mêmes valeurs, donc ce n’est pas l’héritage culturel qui est en question pour moi, c’est d’être en accord sur les choses essentielles.

Et les choses essentielles ne sont pas la religion ou la nationalité ? 

– Pour moi, non. Je me demande si, quand on a des origines multiples, on ne recherche pas, inconsciemment peut-être, quelqu’un de « multiple » aussi. En venant à cet entretien, je pensais à mon couple et à celui de mon frère aîné. J’ai choisi de vivre avec quelqu’un qui a aussi des origines diverses « récoltées » dans le pourtour méditerranéen ; mon frère a des filles conçues avec une femme franco-anglaise et sa nouvelle compagne est franco-algérienne. N’y a-t-il pas un rapport, lorsqu’un individu se construit dès l’origine dans la multiplicité culturelle, n’y a-t-il pas un rapport entre sa bi-culturalité et celle du compagnon ou de la compagne choisis ? Je ne sais pas si ce n’est que le fait du hasard ou si c’est le besoin de se retrouver avec quelqu’un qui porte la même diversité de l’origine ?

[…]

Entretien

Entretien avec Behja Traversac

Pourquoi ce livre sur les unions interculturelles ?

Parce qu’il m’a semblé d’abord, qu’écouter des voix de femmes, concernées directement ou indirectement par cette question, contribue à recentrer la représentation qu’ont les sociétés du Maghreb et notamment la société algérienne de la figure de « la femme ». Les entretiens présentés ici, constituent un révélateur de l’état des mentalités à un moment donné de l’histoire sociale. Si l’on ne se réfère qu’à la période post-indépendances, on constate que si les anciens codes d’alliances ont subi un effritement certain, ils n’en sont pas pour autant fondamentalement remis en cause et trouvent aujourd’hui (comme hier) leur légitimation dans une interprétation intégriste de l’islam qui s’appuie, entre autres, sur la désignation négative de « l’étranger ». L’union interculturelle parce qu’elle est un lieu affectif de la rencontre entre les cultures, un lieu du déplacement et de la fusion, cristallise le rapport qu’ont édifié toutes les sociétés avec leurs héritages matrimoniaux et ce qu’elles en projettent dans leur vision des deux sexes.
Parce qu’il m’a semblé ensuite que l’union interculturelle était un lieu de médiation où se négocie, se transforme la distance culturelle objet de tant de polémiques. L’union « mixte », c’est l’entrée par effraction du couple interculturel dans une autre terre, celle qui se cultive de départs et d’arrivées, de renoncements et de découvertes, de ruptures et de retrouvailles. C’est aussi une terre de dissidence, de rébellion contre les archaïsmes et contre le sort que ceux-ci réservent aux femmes… En fait, un lieu où s’arraisonne l’ailleurs… un voyage quotidien dans l’altérité.
Pourquoi, dans ce thème, plutôt les unions que contractent des musulmanes ou des femmes d’origine musulmane avec des non musulmans ?
Parce que le mariage d’un musulman avec une non musulmane du « Livre[1] », est tacitement reconnu comme légitime et qu’il a déjà une longue histoire derrière lui dans les sociétés du Maghreb. Si celles-ci observent une certaine hostilité à l’égard de cette entorse aux règles de l’endogamie, encore vivaces, du moins ne le considèrent-elles pas comme une atteinte aux lois religieuses et patriarcales et finissent le plus souvent, bon gré, mal gré, par le tolérer sinon l’accepter. En revanche, le mariage d’une musulmane avec un non musulman est considéré comme une dérive individuelle, une provocation sociale et pis, pour les intégristes, comme une apostasie
Les récentes « réformes » des Codes de la famille algérien et marocain sont exemplaires de cette relégation puisque le mariage d’une Algérienne ou d’une Marocaine avec un non musulman demeure prohibé sans que cela ait suscité une contestation explicite forte. Pourtant, la reconduction de cette prohibition illustre l’exacerbation, le point culminant, de l’arraisonnement des femmes dans un état d’être amputé auquel est déniée la liberté de son choix de vie. En effet, au-delà de la confiscation de cette liberté, cette interdiction a un sens symbolique aussi fondamental que la clause qui pérennise l’obligation d’un tuteur pour le mariage d’une femme. Dans ces deux pôles, se concentre la main-mise du groupe social sur le corps des femmes. Interdites d’indépendance dans cet acte majeur lorsqu’il s’agit d’un concitoyen[2], elles sont renvoyées aux « vieux repères exténués du passé[3] » lorsqu’il s’agit d’un homme d’une autre origine.
Le présent essai, en proposant des récits de vie, des expériences, des opinions, éclaire les tensions à l’œuvre entre les positions individuelles et les positions des sociétés d’appartenance. Ils révèlent aussi la permanence de l’héritage patriarcal et endogame encore très enraciné dans l’inconscient collectif. Ils dévoilent les effets pervers d’un islamisme prégnant qui, souvent à marche masquée, s’insinue dans les comportements et dans les idées des plus « modernistes ». Pourtant, à bien y regarder, les opinions exprimées reflètent aussi un désir profond de libre choix de son destin et de sécularisation des mœurs et du religieux d’ailleurs tangible par bien des aspects dans tout le Maghreb.


[1] « De tout temps on autorisait l’homme musulman à épouser une juive ou une chrétienne, une croyante adepte des autres traditions religieuses, pas une athée. Mais l’inverse n’était pas possible. Une musulmane n’épousait personne d’autre que le musulman. » Ghaleb Bencheikh, imam de Marseille. Entretien avec K. Goulmamine « L’Humanité » 12/11/2004.
[2] Le tuteur matrimonial est prévu par le code de la famille algérien et a soulevé beaucoup de protestations. Il a été supprimé dans le code marocain et n’existe pas dans le code tunisien.
[3] René Depestre. Ecrivain Franco-Haïtien. Entretien avec C. Paulet et V. Grégoire – août 1997.

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