Préface
Préface de Henri Alleg
Dans un livre précédent, « Algérie, ma mémoire », Anne Lanta nous a donné de superbes pages dont le cadre était celui d’une Algérie coloniale moribonde. Elle ne parlait pas seulement, comme l’ont fait la plupart des auteurs européens décrivant cette période, de la tristesse d’un monde qui était le leur et qui allait bientôt leur échapper. Aveugles sur le fait que, si aux yeux de ceux que le sort avait comblés ce pays semblait un paradis, il était, pour le plus grand nombre, une prison dont une jeunesse révoltée et impatiente de liberté se préparait, en dépit de tous les obstacles, à briser les barreaux.
Avec une sensibilité et une clairvoyance très rares parmi les « Français de France » et les « Pieds-noirs », elle témoignait avec des mots vrais du malheur d’hommes et de femmes écrasés et humiliés par une misère et une oppression séculaires, en même temps qu’elle disait son amour profond pour un peuple qui en dépit des violences, des injustices et des affronts quotidiens était resté sans haine et, depuis toujours, rayonnant de dignité, et de générosité.
Quarante-deux ans plus tard, voici Anne Lanta de retour dans ce pays chaleureux dont elle redécouvre l’éclatante blancheur de cités qu’elle aime, les paysages et les ciels lumineux, si inoubliables, que même à des milliers de lieues et des décennies de distance, il suffit de fermer les yeux, pour que, sur l’instant, ressurgissent le souvenir de ses parfums, de ses couleurs, de son éblouissante féerie. « Un pays nouveau, dit-elle, mais qui ne lui est pas étranger ».
Pourtant, cette Algérie nouvelle libérée de l’oppression coloniale, garde de son passé, des cicatrices qui restent visibles dans ses forêts calcinées et les ruines de ses douars détruits. Plus profondes encore, elles ne sont effacées ni du cœur ni de la mémoire des Algériens. Des blessures infligées par la guerre et cruellement ouvertes à nouveau par dix années de crimes révoltants perpétrés faussement au nom d’un islam défiguré. Des forfaits monstrueux qu’ont tenté de justifier des « penseurs » puisant leurs « arguments » dans un obscurantisme médiéval totalement contraire aux traditions de tolérance et aux aspirations pacifiques des habitants d’un pays qui se veulent plus que jamais ouverts à l’amitié, à la solidarité, à la coopération fraternelle. Ces années de sang étaient aussi le fruit empoisonné de la misère, du chômage, de l’injustice sociale, de la corruption, du refus d’une vraie démocratie, de l’arrogance et du mépris affichés par les nouveaux parvenus, des promesses non tenues de gouvernants tournant le dos à toutes les espérances populaires.
Tout au long de son parcours, notamment dans ces villages de Kabylie qu’elle traverse, Anne Lanta, entend les Algériennes et Algériens d’aujourd’hui, lui dire -ou lui faire comprendre avec la discrétion et la pudeur qui leur sont propres quand ils parlent d’eux-mêmes -qu’ils ont le sentiment que les années noires sont derrière eux mais qu’ils n’en abandonneront pas pour autant le combat pour une langue et une culture séculaires dont, à juste titre, ils sont fiers. Un combat aussi pour l’établissement de rapports nouveaux, fraternels et mutuellement enrichissants avec la France et qui ne ressembleront en rien à ceux du passé colonial dont certains nostalgiques persistent à chanter les gloires usurpées. Toute la pensée de ces Algériens avec lesquels Anne Lanta sympathise, même quand, volontairement, ils ne s’expriment pas entièrement, dit un attachement profond à un idéal de progrès, de réelle démocratie, à une liberté, à une égalité qui ne soient pas que des mots, à une vraie modernité qui libèrent la société -et plus particulièrement sa composante féminine- des contraintes et des préjugés qui l’emprisonnent dans le carcan d’un autre âge.
Le « retour » d’Anne Lanta n’est certes pas un récit dont le but serait de livrer aux lecteurs ses conclusions sur la situation politique du pays revisité après tant d’années. Mais, ses observations judicieuses -celles d’une amie inconditionnelle d’un peuple qu’elle admire et aime passionnément- font, de ces pages, un témoignage particulièrement attachant, éclairant et utile sur cette Algérie d’aujourd’hui, « son Algérie », qui continue de porter sa confiance et ses espérances.
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